Monte Verità
Tandis que l'Europe se précipite dans la guerre, de jeunes intellectuels au bord du lac Majeur se libèrent des contraintes de la civilisation. Des anarchistes, des socialistes, des végétariens, des artistes, des écrivains et des danseurs expérimentent au Monte Verità, près d'Ascona, de nouveaux modes de vie. La troupe des danseurs de Rudolf von Laban s'offre à la nature dans une nudité révolutionnaire pour renouveler la société de l'intérieur. Cette précoce photographie en couleur (il s'agissait à l'origine d'une diapositive sur verre) anticipe une technique future et reflète intensivement, par la fraîcheur conservée de ses couleurs, l'aspiration au changement qui motive ces « réformateurs de la vie ».
1.Monte Verità, un historique :
En ce XIXe siècle, l’Europe est secouée par l’arrivée de l’industrialisation qui bouleverse l’organisation sociale. Cette crise est particulièrement ressentie en Allemagne où des signes de rejet du monde industriel apparaissent dès 1870. Ainsi, en réponse à l’urbanisation engendrée par une nouvelle organisation du travail, apparaît le Naturisme. On tente de fuir la pollution des villes, de créer des communautés et des " cités jardins " pour vivre en harmonie avec la nature. Ceux qui partagent ce point de vue se regroupent bientôt autour du mouvement de Réforme de la vie (Lebensreform, 1892). Contrairement à la Réforme appelée par les rosicruciens du XVIIe siècle et dans les utopies littéraires qui lui succédèrent, le progrès scientifique est ressenti comme une menace au XIXe siècle. Le mouvement de Réforme de la vie draine les adeptes du végétarisme, du naturisme, du spiritisme, des médecines naturelles, de l’hygiénisme, de la Société Théosophique, ainsi que des artistes .
Dans cette mouvance, un théosophe suisse, Alfredo Pioda, tente d’établir en 1889 un couvent laïque. Le groupe prend le nom de Fraternitas et s’installe sur le mont Vérité (monte Verità), près d’Ascona (Tessin, Suisse). Frantz Hartmann et la comtesse Wachtmeister, des familiers d’Héléna Petrovna Blavatsky, participent à ce projet éphémère. C’est sans doute cette expérience qui inspirera à Frantz Hartmann " Une institution rosicrucienne en Suisse ", le chapitre qu’il ajoutera aux éditions successives de son roman initiatique Une Aventure chez les Rose-Croix. Des cendres de Fraternitas, Henri Oedenkoven et Ida Hofmann font naître en 1900 Monte Verità, une communauté du même type Nombreux seront ceux qui fréquenteront Monte Verità, comme l’écrivain Herman Hesse, le futur philosophe Martin Buber, le politicien Gustav Landauer, Émile Jacques-Dalcroze, l’inventeur de la gymnastique rythmique, ou Rudolf von Laban, le chorégraphe et théoricien de la danse.
Monte Verità est un magnifique site naturel qui domine le Lac Majeur du haut d'une colline à Ascona, Suisse. Monte Verità a reçu son nom au début du siècle quand la colline fut habitée pour la première fois par une petite communauté de personnes à la recherche d'un mode de vie alternatif, nouveau et plus sain: des végétariens y vivaient en contact étroit avec la nature, exposaient leurs corps nus au soleil, construisaient leurs huttes et maisons avec leurs propres mains tout en rêvant à un futur plus paisible. La communauté, ses soirées de discussion, ses concerts et ses performances, devinrent bientôt une curiosité non seulement pour les gens d'Ascona mais également pour des voyageurs de toute l'Europe qui commencèrent à visiter ce lieu inhabituel. La communauté éclata avant la Première Guerre mondiale mais quelque chose de l'esprit du lieu est resté en plus des vestiges de cette époque recueillis par Harald Szeeman pour le Musée du Monte Verità; photographies, tableaux, livres, posters, lettres, objets témoignent du passage dans ce lieu en plus des fondateurs de la communauté, de gens comme Otto Gross, Rudolf Steiner, Krishnamurti, Isadora Duncan, Hermann Hesse. Dans cette collection fascinante on trouve aussi des documents qui analysent le magnétisme tellurique particulier de cette région (!): une manière de vouloir comprendre pourquoi tant de grands esprits se sont retrouvés ici et ont été inspirés ici.
2.Anachroniques: Monte Verità : L'utopie à poil
Envoyé en 1905 au Monte Verità par le Département fédéral de justice et police, le commissaire Rusca de Locarno surprend «des originaux cultivés, fatigués par une vie d'amusements et de richesse qui redécouvrent une existence fruste et simple. Souvent nus, en été comme en hiver, ils produisent eux-mêmes de quoi manger.» Il note également que «le propriétaire des lieux est le fils d'un riche armateur d'Anvers habitué du Grand Hôtel de Locarno.» Souffre-douleur des mauvaises langues et accusée d'être un repaire d'anarchistes, la colonie établie sur les hauteurs d'Ascona au bord du lac Majeur mène son utopie sans trop se soucier du reste du monde depuis son arrivée cinq ans auparavant.
Une vie alternative
La tribu débarque au Tessin au printemps 1900. Henri Oedenkoven, qui assure les fonds via le patrimoine paternel, sa femme Ida Hofman, Karl Gräser, un ancien officier de l'empire austro-hongrois désormais réfractaire à l'ordre, son frère surnommé Gusto (Goût), partisan d'un retour radical à la terre et deux ou trois autres idéalistes déçus, névrosés, fuyant les ennuis et la bourgeoisie prussienne, achètent un hectare et demi de terrain plein sud pour cent cinquante mille francs. Il n'y a ni eau, ni électricité, ni route. Mais des palmiers et des châtaigniers en abondance. La nouvelle vie démarre sur de nouvelles bases, macrobiotique et naturiste, anthroposophe et égalitaire. La colline jouit déjà d'une réputation internationale. Son magnétisme naturel hors du commun, égal à celui de Sils Maria aux Grisons, et la tolérance transalpine à l'égard des idées libertaires et d'avant-garde attirent révolutionnaires, écrivains, philosophes et toutes sortes de désaxés et de marginaux en quête de bonheur et d'amour universel.
Rudesse et confort petit bourgeois coexistent dans la ferveur maternelle. On joue du piano et on plante des salades. Hommes et femmes cavalent à poil dans un paysage grandiose. Douches gelées et bains de soleil raffermissent peau et chair de citadins oisifs. Il faut écarter les escrocs, les voyeurs et les journalistes à l'affût de scandales et faits divers. Et surtout on discute bienfaits et méfaits de l'alimentation végétarienne. Avec les entorses à la règle qui s'en suivent : contrebande d'aliments bannis et virées incognito dans les grotti du coin.
La montagne des idées
Deux doctrines s'affrontent à l'ombre des mimosas. L'une se contente d'un retour à la nature bon enfant, matérialisé dans un sanatorium aux vertus régénératrices. L'autre théorise une vision à cheval de la morale et du communisme où l'homme oublie sa peine et revient à son destin originel. Cette dernière, trop dogmatique, se disperse avec ses instigateurs. Gusto, désormais en marge de la communauté, trouve refuge dans une grotte. C'est là qu'Hermann Hesse, alcoolique et gâteux, le rencontre quelques années plus tard et imagine la figure de la Grande Terre mère, calé dans les formes généreuses d'Elisabetta, la femme de Gusto. Le culte primordial s'éternise sous les bois du Monte Verità. Encens et transpiration - ces danses frénétiques voisines de la transe au clair de la lune - flottent encore dans les airs. Et Harald Szeeman, célèbre commissaire d'expositions d'art contemporain, conserve les archives de l'aventure, rangés avec le zèle du comptable, à l'abri de sa maison au Val Maggia, pas loin de Locarno.
L'émancipation féminine est à l'ordre du jour aussi bien que les mariages d'amour et de conscience, affranchis du fatras patriarcal et administratif qui en dénature le sens profond. L'homosexualité s'épanouit à l'écart des frayeurs bien pensantes. On réforme l'orthographe - au diable les majuscules - de même que la mode de l'époque, étouffant à l'excès muscles et rondeurs. Une fois banni l'argent, le troc devient la règle. Parfois une chanson suffit pour se payer un bon traitement dentaire. Tant pis si on exploite quelques ouvriers au nom de l'esprit.
En une vingtaine d'années, la colonie brasse joyeusement idées et pratiques alternatives en quantité. L'Europe se tourne vers le Monte Verità, curieuse d'expérimenter les débordements promis. A part les malades, vrais ou imaginaires, des milliers de visiteurs se pressent sur la colline magique. Walter Gropius, Thoman Mann, Erich Maria Remarque, Carl Gustav Jung, André Gide, Emile Jacques Dalcroze, la rythmique dans une valise, Lénine dit-on, séjournent aux frais d'Ida et Henri, à la barbe d'une réputation d'idiots qui amuse les cafés du commerce d'Ascona.
Le déclin
En 1920, les fondateurs abandonnent les lieux. Les dettes rattrapent l'utopie. Une coopérative d'artistes tente le sauvetage. On retape les bâtiments. Touristes et confort chassent légumes et tempérance. Maintenant, on mange et on boit à sa faim, viande et grands crus. Malgré les efforts, la faillite les rattrape en 1926.
Un richissime baron allemand, Eduard von der Heydt, rachète la propriété. Il crée un institut à la gloire de l'Asie. Le Bauhaus dresse un hôtel mélangeant modernité et souvenirs. Après la Deuxième Guerre mondiale, von der Heydt accusé d'avoir été en affaires avec les nazis, offre le Monte Verità au canton du Tessin avec ouvres d'art et comptes bancaires pour constituer une fondation culturelle. C'est chose faite depuis 1989. De plus, à partir de 1992, l'association Montecinemaverità se consacre à la production de films alternatifs. Douze ans plus tard, sa disparition menace. Seuls les cinéphiles du Festival de Locarno y montent toujours dans l'espoir de l'utopie au creux d'une assiette de crudités.
Irene Bignardi, «Monte Verità», in Le piccole utopie,
Feltrinelli, 2003
3.La réforme de la vie et les naturmenschen :
Mais, Churward n'est pas le seul à soutenir l'existence d'un continent perdu. Helena Petrovna Blavatsky, fondatrice du mouvement théosophe, soutient également l'existence d'un continent perdu, la Lémurie. Il est noter que Helena Blavatsky fit des séjours en Inde à une époque où Churward lui-même y était cantonné (fin du 19e siècle - d'après H. Santesson). Elle fut également initiée par des "rishi" et elle influença les premières recherches de Churward sur l'Age d'Or de l'humanité. Blavatsky fut extrêment influencées par les théories racistes de Max Muller. Citons également le proche parent de la Théosophie, l'Anthroposophie (de Rudolf Steiner) affirmant que la capacité spirituelle est une fonction de la "pureté" raciale. Les théories édictées par Helena Blavatsky sont fort proches des principes de Mahikari :
-dieu unique
-prédominance des lois de la nature et de la nature en générale,
-l'univers est régi par les lois du karma
-principe des réincarnations successives nécessaires à la purification de nos erreurs
-principe des trois plans : physique, mental et spirituel
-rejet de la théorie de l'évolution
-Age d'or perdu (continents engloutis : Lémurie et Atlantide)
-toutes les religions dérivent d'un même tronc (la religion primitive de l'empereur du Japon selon Mahikari)
-importance des mythes
-Dieu a envoyé des messagers à différentes époques
C'est elle aussi qui a introduit les religions orientales en Occident.
Il semblent donc que fin du 19e siècle et début du 20e, une certaine mouvance philosophique, reprenant des principes fort similaires, avec toutefois certaines différences, se soit fait jour et ait réunit des concepts occidentaux et orientaux. Cette mouvance va prendre une autre tournure dans les années vingt et trente.
Après la première guerre mondiale se développa en Allemagne et en Suisse un mouvement de retour à la nature, de redécouverte du corps humain, unissant danse et gestes. Un de ces philosophes, Jaques Dalcroze, fonda une communauté dont le but était de retrouver l'harmonie avec la nature. Le fronton de son école arborait le symbole oriental du Yin et du Yang entremêlés. D'autres communautés se sont installées sur une colline du Tessin suisse que l'on appelé "Monte Verità". Ces "naturmenschen" vivaient le plus souvent nus, cultivaient leurs légumes (il y eut un fort courant végétarien) et refusaient la société moderne. Ils exécutaient des danses rituelles, souvent sur une musique de Wagner, la préférée d'un certain Adolph Hitler. Certaines communautés servirent de laboratoires à certains théosophes. On trouvait également des libertaires, des anarchistes et des naturistes. Toutes ces communautés annonçaient un nouvel âge et regrettaient l'Age d'Or (un matriarcat pour certains), le Paradis Perdu. Citons l'Ordre du Temple d'Orient, Gross (qui interpréta à sa façon les théorie de Freud), Graeser ou Muck-Lamberty qui lança un mouvement annonçant des temps nouveaux après la défaite allemande de 14-18. Un autre mouvement des campagnes, les WanderVogel (oiseaux migrateurs), préfigura les scouts. Les enfants partaient faire des ballades, découvrir la nature, chantaient de vieilles chansons germaniques idéalisant un moyen âge gothique, le tout dans une discipline de fer.
Ces mouvements de retour à la nature et de "scoutisme patriotique" furent détournés par Hitler. Certes, tous les WanderVogels ne sont pas devenus nazi, mais ils ont préparés les valeurs du régime nazi : racisme, exaltation de la force et de la nature, idéalisation du moyen âge, idéalisation de la patrie, harmonie avec la force cosmique, fusion de l'individu dans la communauté de la race, etc.
De plus, la plupart des mouvements rejetaient l'argent et le matérialisme, tout comme Hitler qui proposait son "national-socialisme", sa vision corporatiste de l'économie.